Le Bien et le Mal

 
  par Meher Baba  
    Meher Baba, Inde, 1948
 

ÉVALUATION DE L'EXPERIENCE SOUS FORME D'OPPOSITIONS

Le mental de l'homme ne se contente pas de vivre des expériences, il les évalue constamment.
Il considère certaines expériences comme agréables, et d'autres comme désagréables ; certaines causent son bonheur, et d'autres sa souffrance ; certaines lui plaisent, d'autres lui déplaisent.
Pour lui, certaines sont contraignantes, d'autres sont épanouissantes et libératrices.
Enfin, il juge certaines expériences comme bonnes et d'autres comme mauvaises : ainsi, l'imagination humaine crée des oppositions en abordant la vie d'un point de vue particulier.

  L'ACCEPTABLE ET L'INACCEPTABLE

La conception que l'homme a de ce qui est acceptable ou inacceptable ne cesse d'évoluer et de changer en fonction de la nature des désirs qui dominent en lui à tel ou tel moment. Tant que l'homme conserve en son mental un désir, quel qu'il soit, il ne peut faire autrement que d'évaluer son expérience en rapport avec ce désir ; il la divise donc en deux parties : l'une acceptable parce qu'elle contribue à la réalisation de ce désir, et l'autre inacceptable parce qu'elle tend à faire obstacle à cette réalisation. Au lieu d'aborder la vie et tout ce qu'elle apporte, sans rien demander, sans s'attacher d'un côté et fuir de l'autre, le mental s'invente un critère selon lequel il divise la vie en deux aspects opposés qu'il juge, l'un acceptable, et l'autre inacceptable.

 

MEME LE BIEN EST FONCTION DU DESIR

De toutes les oppositions créées par le mental de l'homme, la division entre le bien et le mal est celle qui a le plus d'importance sur le plan spirituel. Elle est fondée sur le désir qu'a l'homme de se libérer de toutes les limitations causées par les désirs : les expériences et les actions qui enchaînent davantage aux désirs sont mauvaises, et celles qui permettent au mental de s'en libérer, sont bonnes. Puisque l'existence des bonnes expériences et des bonnes actions est liée au désir, elles enchaînent de la même manière que les mauvaises expériences et les mauvaises actions. Le dernier lien ne tombe qu'avec la disparition du dernier désir. La liberté véritable apparaît donc lorsque le bien et le mal s’équilibrent et se fondent l'un dans l'autre, au point de ne plus laisser la possibilité d'un choix dû au désir du moi limité.

 

L'HUMANITE DEBUTE AVEC DES SANSKARAS ANIMAUX

Lorsque la conscience atteint avec l'homme son plein développement, elle contient une prépondérance de mauvais éléments, car aux stades pré-humains de l'évolution, la conscience opérait surtout sous l'influence de tendances limitatrices telles que l'instinct sexuel, l'avidité et la colère. Les expériences et les actions dues à ces tendances égocentriques ont laissé leurs empreintes sur le mental en développement, et celui-ci les a emmagasinées à la manière d'un film qui enregistre le mouvement des acteurs. Il est donc facile d'être mauvais, et difficile d'être bon. La vie animale, d'où émerge la conscience humaine, est surtout déterminée par l'instinct sexuel animal, l'avidité animale et la colère animale ; pourtant certains animaux développent parfois de bonnes qualités telles que le sacrifice de soi, l'amour et la patience. Si tous les sanskaras animaux accumulés n'avaient été que mauvais et qu'aucun n'ait été bon, l'apparition de bonnes tendances dans la conscience humaine eut été impossible.

 

NECESSITE DE CULTIVER LES BONS SANSKARAS

Cependant, si certains sanskaras animaux sont bons, la plupart sont mauvais ; ainsi, au commencement, la conscience humaine est soumise à une force motrice qui est surtout mauvaise. Dès le début de l'évolution humaine, le problème de l'émancipation consiste à cultiver et développer les bons sanskaras afin qu'ils recouvrent et annulent les mauvais sanskaras accumulés précédemment. Pour cultiver les bons sanskaras, il faut encourager les expériences et les actions opposées à celles qui prédominent dans la vie animale : l'opposé de l'appétit sexuel est l'amour, l'opposé de l'avidité est la générosité, et l'opposé de la colère est la tolérance ou la patience. En essayant de vivre avec amour, générosité et tolérance, l'homme peut effacer les tendances qui le portent à l’appétit sexuel, à l'avidité et à la colère.

 

LE PECHEUR ET LE SAINT

Le processus général qui consiste à se libérer des limites imposées par les sanskaras, doit donc s'accompagner d'un processus de renoncement au mal pour le bien. Mais le fait qu'une personne soit bonne ou mauvaise à un moment donné, dépend de l'inexorable jeu de ses sanskaras. Vus sous cet angle, le pécheur et le saint sont tous deux ce qu'ils sont selon les lois qui régissent l'univers. Tous deux ont la même origine et la même fin. Le pécheur n'a nul besoin de porter la marque d'une déchéance éternelle, et le saint n'a nulle raison de s'enorgueillir de ses acquisitions d'ordre moral. Nul, quelle que soit sa sainteté, n'atteint les sommets de la vertu morale sans avoir auparavant vécu une vie de défaillance morale, et nul n'est si mauvais qu'il ne puisse s’amender et devenir bon. Tout homme, si dépravé soit-il, peut s'améliorer jusqu'à devenir le meilleur des exemples pour toute l'humanité. L'espérance demeure pour chacun ; personne n'est définitivement perdu, et nul ne doit désespérer. Il n'en est pas moins vrai cependant, que le chemin qui mène à Dieu passe par le renoncement au mal pour le bien.

 

LA PRISON DU BIEN

Nous avons vu que les bons sanskaras peuvent servir de support à la prolongation de la vie du moi limité. Lorsqu'un homme pense qu'il est bon, et non pas mauvais, il s'affirme lui-même en s'identifiant avec cette conviction, et préserve ainsi son existence séparée en lui donnant une forme nouvelle. Dans certains cas, cette nouvelle demeure que l'ego se bâtit est plus difficile à démanteler, parce que l'identification de soi au bien est souvent beaucoup plus totale que l'identification de soi au mal. Il est plus facile de cesser de s'identifier au mal car, dès que le mal est perçu comme tel, son emprise sur la conscience se desserre. Se détacher de l'emprise du bien est plus difficile, car le bien transmet une image de soi favorable, qui se justifie par contraste avec le mal. Cependant, avec le temps, l'aspirant finit par se lasser de sa nouvelle prison, et après l'avoir perçue comme telle, il abandonne son existence séparée en transcendant la dualité du bien et du mal.

 

COMPARAISON DU BIEN ET DU MAL

L'ego quitte la demeure qui l'identifiait au mal pour habiter celle qui l'identifie au bien parce que cette dernière lui donne un plus grand sentiment d'épanouissement. Mais tôt ou tard, l'aspirant s'aperçoit que cette nouvelle demeure le limite tout autant. Il découvre alors qu'il est moins difficile de se libérer de la maison du bien que de celle du mal. La difficulté en ce qui concerne la demeure du mal n'est pas tant le fait de percevoir qu'elle est une prison, mais d'arriver à la démanteler une fois qu'on en a pris conscience. Par contre, en ce qui concerne la demeure du bien, ce qui est difficile ce n'est pas de la démanteler, mais de s'apercevoir qu'elle est vraiment une prison. Cette différence provient du fait que les racines des sanskaras animaux sont beaucoup plus profonds, en raison de leur ancienneté et de la longue durée de leur accumulation. I1 est important de noter que le bien lie autant que le mal, mais qu'il est plus facile de défaire les liens du bien une fois qu'ils ont été perçus comme des limitations.

 

REALISATION LIBRE DE TOUT SANSKARA ET AU-DELA DU BIEN ET DU MAL

Lorsqu'il y a équilibre et recouvrement exacts des bons et des mauvais sanskaras, ils disparaissent tous en laissant un mental parfaitement pur sur lequel rien n'est écrit, et qui réfléchit donc la Vérité sans aucune déformation. Rien n'est jamais écrit sur l'âme. Les sanskaras se déposent sur le mental et non pas sur l'âme individuelle. L'âme n'est jamais ternie ; mais le mental ne peut refléter la Vérité que s'il est un miroir parfait. Lorsque les impressions du bien comme du mal ont disparu, le mental peut voir l'Ame unique. Ceci est l'illumination.
Cependant le mental qui voit l'Ame unique, ce n'est pas l'Ame qui se connaît elle-même, car l'Ame n'est pas le mental : elle est Dieu, qui est au-delà du mental. Ainsi même lorsque le mental a vu l'Ame, il lui faut encore se fondre en elle pour que l'âme individualisée puisse se connaître elle-même en tant que Vérité. Ceci est la Réalisation. Dans cet état, le mental lui-même, avec tous ses bons et ses mauvais sanskaras a disparu. Cet état est au-delà du mental, il est donc aussi au-delà de la distinction entre le bien et le mal. En cet état, on ne voit plus qu'une seule existence indivisible imprégnée d'amour, de paix, de félicité et de connaissance infinis. La lutte perpétuelle entre le bien et le mal a disparu car il n'y a ni bien ni mal ; seule existe la vie de Dieu qui ne se divise pas et contient toute chose.

 


Tous droits réservés

 
   
Meher Baba