Parvenir à la connaissance de Soi

 
  par Meher Baba  
   
 


La progression vers la connaissance de Soi

Quand le moment est venu, la personne progresse vers la connaissance de Soi aussi naturellement que le corps physique d'un enfant se transforme en celui d'un adulte. La croissance du corps physique est régie par l'action de lois naturelles et la progression de l'aspirant vers la connaissance de Soi est régie par l'action de lois spirituelles propres à la transformation et à l'émancipation de la conscience. Le corps physique de l'enfant grandit petit à petit, presque imperceptiblement ; il en est de même pour la progression spirituelle de la personne une fois qu'elle s'est engagée sur le chemin.

 

L'enfant ne sait pas comment grandit son corps physique ; il en est de même pour l'aspirant qui n'a souvent pas connaissance de la loi selon laquelle il avance vers la destination de son voyage spirituel.
L'aspirant est généralement conscient de la manière dont il réagit aux diverses situations de la vie, mais il l'est rarement de la façon dont il progresse vers la connaissance de Soi. Sans le savoir consciemment, l'aspirant arrive peu à peu à la connaissance de Soi en parcourant le chemin intérieur, à travers ses joies et ses peines, ses bonheurs et ses souffrances, ses réussites et ses échecs, ses efforts et ses repos ; à travers ses moments de claire perception et d'harmonie de caractère, comme ses moments de confusion et de conflit. Toutes ces choses sont la manifestation des divers sanskaras provenant de son passé et l'aspirant se fraye un chemin vers la connaissance de Soi dans l'enchevêtrement de ces sanskaras comme le voyageur qui se taille un passage à travers les broussailles d'une épaisse forêt.

 

Portée et fonctionnement de la conscience

On peut comparer la conscience humaine à un faisceau lumineux qui révèle l'existence et la nature des choses. L'espace éclairé par ce faisceau lumineux dépend du moyen qui sert à sa projection, à l'exemple de la personne qui, confinée sur un bateau, peut évoluer partout à la surface de l'eau mais ne peut accéder aux endroits reculés de la terre et des airs. Le fonctionnement réel du faisceau lumineux de la conscience est déterminé par accumulation des sanskaras tout comme le cours des petits torrents qui dévalent la pente d'une montagne dépend des gorges créées par les contours naturels de la montagne.

 

L'homme ordinaire n'est conscient que du monde grossier

Dans le cas de l'homme ordinaire, la sphère de vie et le champ d'action se trouvent limités au monde grossier parce que chez lui le faisceau lumineux de la conscience éclaire le corps physique et fonctionne à travers lui. Puisque son seul véhicule est le corps grossier, il est conscient de tout ce qui est du domaine du monde grossier, mais il est incapable d'établir un contact conscient avec les réalités subtiles et mentales. La sphère grossière constitue donc le domaine de l'homme moyen, et toutes ses activités, toutes ses pensées tendent à se diriger vers les objets grossiers qui sont à sa portée. Mais pendant tout ce temps, il demeure inconscient des sphères subtiles et mentales de l'existence puisque le faisceau lumineux de sa conscience ne passe ni par le corps subtil ni par le corps mental.

 

Identification avec le corps physique

A ce stade, l'âme est consciente du monde grossier, mais est complètement ignorante de sa vraie nature. Elle s'identifie avec le corps grossier sur lequel se porte le faisceau lumineux de sa conscience, et ceci devient naturellement la base de toutes les activités qui sont à sa portée. L'âme ne se connaît pas directement par elle-même, mais au moyen du corps physique. Et puisque toute la connaissance qu'elle peut acquérir par le corps physique laisse supposer que celui-ci est le centre des activités, elle se prend pour le corps physique lequel n'est en fait que son instrument.

L'âme s'imagine donc être homme ou femme, jeune ou vieille, et s'attribue les changements et les limitations du corps.

 

Identification avec le corps subtil

Après de nombreuses vies dans le cadre offert par le monde grossier, les impressions qui s'y rapportent finissent par s'affaiblir en raison de l'expérience prolongée des pôles opposés, tels qu'une grande joie ou une souffrance intense. L'affaiblissement des impressions est le commencement de l'éveil spirituel qui consiste pour le faisceau lumineux de la conscience à se détacher peu à peu de la fascination du monde grossier. Lorsque ceci se produit, les impressions grossières deviennent subtiles, ce qui permet à l'âme de transférer facilement la base de son fonctionnement conscient, du corps grossier au corps subtil.

Le faisceau lumineux de la conscience éclaire maintenant le corps subtil qui devient son véhicule à la place du corps grossier. Le monde grossier disparaît donc entièrement de la conscience de l'âme, qui devient consciente du seul monde subtil. La sphère subtile de l'existence constitue alors le contexte de sa vie, et l'âme se prend maintenant pour le corps subtil qui devient le centre de toutes ses activités et qu'elle perçoit comme tel. Même quand l'âme devient consciente de ce qui est subtil, elle demeure ignorante de sa vraie nature puisqu'elle ne peut se connaître directement elle-même par elle-même, mais seulement au moyen du corps subtil.

Cependant, le fait que le champ d'action passe de la sphère grossière de l'existence à la sphère subtile est un événement d'une importance considérable. Dans la sphère subtile, les normes conventionnelles du monde grossier sont remplacées par de nouvelles normes plus proches de la Vérité, et un nouveau mode de vie est rendu possible grâce à la naissance de nouveaux pouvoirs et à une libération d'énergie spirituelle. La vie dans le monde subtil n'est qu'une phase du parcours spirituel et est loin d'en être le but ; mais parmi les millions d'âmes conscientes du monde grossier, rare est celle qui peut devenir consciente du monde subtil.

 

Identification avec le corps mental

Les impressions en rapport avec le monde subtil s'épuisent à leur tour à l'aide de certaines formes de pénitence ou de yoga. Ceci aide la conscience à se retirer davantage en elle-même, permettant ainsi au faisceau lumineux de se projeter sur le corps mental et de fonctionner à travers lui. La rupture des liens conscients avec le corps grossier et le corps subtil signifie que la sphère grossière et la sphère subtile de l'existence se trouvent complètement exclues du champ de la conscience. L'âme est maintenant consciente du monde mental qui offre la possibilité d'une compréhension spirituelle plus profonde et une perception plus claire de la Vérité ultime.

Dans ce nouveau cadre, celui de la sphère mentale, l'âme jouit d'une inspiration continue, d'une profonde connaissance intérieure et d'une intuition infaillible, et elle est en contact direct avec la Réalité spirituelle. Bien qu'elle soit en contact direct avec Dieu elle ne se voit pas elle-même comme Dieu puisqu'elle ne peut pas se connaître elle-même directement, mais seulement au moyen du mental individuel. Se connaissant par l'intermédiaire du mental individuel, elle se prend pour le mental individuel puisqu'elle considère celui-ci comme étant la base et le centre de toutes ses activités.

Bien que l'âme soit beaucoup plus proche de Dieu que dans les sphères grossière et subtile, elle est encore dans le monde des ombres et continue à se sentir séparée de Dieu à cause du voile créé par les impressions qui se rapportent à la sphère mentale. Le faisceau lumineux de la conscience fonctionne à travers le mental individuel limité, et il ne peut donc donner à l'âme la connaissance d'elle-même telle qu'elle est. Bien que l'âme ne se soit pas encore réalisée comme Dieu, sa vie dans la sphère mentale de l'existence représente un formidable pas en avant au-delà de la sphère subtile. Parmi les millions d'âmes conscientes du monde subtil, rare est celle qui peut entrer en contact conscient avec la sphère mentale de l'existence.

 

Nécessité d'un Maître

Un aspirant peut s'élever seul, par ses propres efforts, jusqu'à la sphère mentale de l'existence, mais abandonner le corps mental, c'est renoncer à l'existence individuelle. Ce dernier pas, le plus important, ne peut être accompli qu'avec l'aide d'un Maître Parfait, lui-même réalisé en Dieu. Parmi les millions d'âmes conscientes de la sphère mentale, rare est celle qui peut retirer du mental individuel le faisceau lumineux de la conscience. Un tel retrait implique l'effacement complet des dernières traces laissées par les impressions qui se rapportent à la vie mentale de l'âme. Quand le faisceau lumineux de la conscience n'est plus dirigé sur aucun des trois corps, il sert à réfléchir la vraie nature de l'âme.

 

Connaissance de Soi directe

L'âme a maintenant la connaissance directe d'elle-même sans dépendre d'aucun intermédiaire ; elle ne se voit plus comme un corps fini, mais comme Dieu Infini, et elle se sait être elle-même la seule réalité. Lors de ce moment décisif, le plus important de la vie de l'âme individualisée, il y a rupture complète de tout lien avec les trois corps.

Puisque la conscience des différentes sphères de l'existence dépend directement des corps correspondants, l'âme est maintenant complètement oublieuse de l'univers entier. Le faisceau lumineux de la conscience n'est plus dirigé sur quelque chose d'étranger ou d'extérieur, mais sur l'âme elle-même. L'âme est maintenant réellement consciente d'Elle-même et est parvenue à la connaissance de Soi.

 

La fausse connaissance de soi est un succédané temporaire

La progression vers la connaissance de Soi à travers les trois sphères de l'existence s'accompagne de l'acquisition d'une fausse connaissance de soi qui consiste à s'identifier avec le corps grossier, le corps subtil, puis le corps mental suivant les étapes de cette progression. Ceci est dû au but initial de la création qui est de rendre l'âme consciente d'elle-même. L'âme ne peut avoir une vraie connaissance d'elle-même qu'à la fin du voyage spirituel, et toutes les fausses connaissances de soi intermédiaires sont, en quelque sorte, des succédanés temporaires de la vraie connaissance de Soi. Ce sont des erreurs nécessaires à l'effort pour arriver à la vraie connaissance de Soi.

Puisque le faisceau lumineux de la conscience est dirigé tout au long du voyage sur les objets qui sont autour de l'âme et non pas sur l'âme elle-même, celle-ci a tendance à se laisser tellement absorber par ces objets qu'elle en oublie presque complètement son existence et sa nature propre. Le danger de cet oubli de soi total et permanent est contrebalancé par l'affirmation de soi que l'âme acquiert au moyen du corps qui se trouve alors utilisé comme point de convergence du faisceau lumineux de la conscience. L'âme se prend ainsi pour son corps et elle prend les autres pour leurs corps respectifs, entretenant ainsi un monde de dualité où il y a sexualité, compétition, agressivité, jalousie, peur réciproque, et ambition égocentrique et exclusive. Se connaître soi-même au moyen d'un repère externe est donc pour l'âme source de confusion, de complications et d'enchevêtrements incalculables.

 

Histoire de la citrouille

On peut illustrer cette forme d'ignorance par la célèbre histoire de la citrouille à laquelle fait allusion le poète persan Jami dans l'une de ses stances. Il était une fois un homme distrait qui n'avait pas son pareil pour oublier les choses, même sa propre identité. Il avait un ami intelligent et de toute confiance qui voulait l'aider à se souvenir de lui-même. Cet ami lui attacha une citrouille au cou et lut dit : « Ecoute mon vieux, un de ces jours tu seras capable de te perdre complètement et de ne plus savoir qui tu es. Alors, comme repère je t'attache cette citrouille autour du cou, pour que chaque matin à ton réveil, tu voies la citrouille et saches que c'est toi qui es là ».

Chaque matin à son réveil, l'homme distrait voyait la citrouille et se disait « Je ne suis pas perdu ! ». Au bout d'un certain temps, alors que l'homme avait pris l'habitude de s'identifier à l'aide de la citrouille, l'ami demanda à un inconnu de demeurer auprès du distrait, de détacher la citrouille de son cou, et de l'attacher à son propre cou. Ce que fit l'inconnu, et quand l'homme distrait s'éveilla le matin, il ne vit plus la citrouille à son cou. Il se dit en lui-même « Je suis perdu ! ». Puis il vit la citrouille au cou de l'autre homme et lui dit : « Vous êtes moi ! Mais alors, qui suis-je ? ».

 

Explication de l'analogie

L'histoire de la citrouille présente une analogie avec les différentes formes de fausse connaissance de soi qui proviennent de l'identification avec le corps. Se connaître soi-même comme le corps, c'est se connaître au moyen de la citrouille. Le trouble causé par la non-identification avec le corps grossier, le corps subtil, puis le corps mental, est comparable au désarroi de l'homme distrait qui ne voit plus la citrouille à son cou ; et le moment où le sentiment de dualité commence à s'estomper est comparable à l'identification de l'homme à l'inconnu qui porte la citrouille. Par la suite, si le distrait de l'histoire en venait à apprendre à se connaître lui-même par lui-même indépendamment de tout repère extérieur, sa connaissance de soi serait comparable à la vraie connaissance de Soi de l'âme, qui après avoir cessé de s'identifier aux trois corps, sait qu'elle n'est autre que Dieu infini. Parvenir à cette connaissance de Soi est le vrai but de la création.

 


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