|
MELANGE DE PLAISIR ET DE PEINE
Chacun est à la recherche du bonheur, et pourtant, la plupart des gens sont plongés dans une sorte de souffrance. Lorsqu'il leur arrive de vivre de petits épisodes de bonheur dans leur vie, celui-ci n'est ni parfait ni permanent. La vie de l'homme n'est jamais une série de plaisirs sans mélange. Elle se meut entre les opposés de la souffrance et du plaisir, qui s'entrelacent à la manière de noirs nuages d'orage éclairés de lumineux arcs-en-ciel. Les moments de plaisir apparaissant occasionnellement dans la vie de l'homme s'évanouissent bientôt, comme des arcs-en-ciel brillant de toute leur splendeur pour s'éteindre quelques instants plus tard. Si ces moments de plaisir laissent une trace, leur souvenir ne fait qu'ajouter au chagrin de les avoir perdus. Tel est l'inévitable héritage laissé par la plupart des plaisirs.
LE DESIR PORTE DEUX SORTES DE FRUITS
L'homme ne recherche pas la souffrance ; c'est elle qui vient à lui, comme inévitable conséquence de la façon même dont il recherche le bonheur. Il le recherche dans la satisfaction de ses désirs, mais cette satisfaction n'est jamais assurée. L'homme à la poursuite de ses désirs se prépare donc inévitablement à souffrir de leur non-réalisation. Le même arbre du désir porte deux sortes de fruits : l'un savoureux, le plaisir, et l'autre amer, la souffrance. Si on laisse cet arbre croître, on ne peut lui faire porter une seule sorte de fruits. Si l'on souhaite l'une on doit se préparer à goûter l'autre aussi. L'homme poursuit impétueusement le plaisir et s'y accroche avec ferveur lorsqu'il survient. Il essaye par contre d'éviter désespérément la souffrance imminente et en éprouve la cruelle morsure avec ressentiment. Son acharnement et sa ferveur ne servent pas à grand-chose, car son plaisir est condamné à se flétrir et à disparaître un jour. Son désespoir et son ressentiment ne servent pas à grand-chose non plus, car il ne peut échapper à la souffrance qui en résultera.
SOUFFRANCE CAUSEE PAR LES DESIRS
Satisfaire les désirs, ce n'est pas y mettre fin pour autant : ils sont submergés pour un temps, puis réapparaissent avec une vigueur accrue. La personne qui a faim, mange pour apaiser son désir, mais la faim ressurgit bien vite. Et si elle mange trop, la satisfaction même de son désir est source de souffrance et d'inconfort. Il en est de même pour tous les désirs du monde : ils ne peuvent offrir qu'un bonheur temporaire. Au moment même de leur satisfaction, le bonheur qu'ils apportent a déjà commencé à se faner et à s'éteindre. Les désirs de ce monde ne peuvent donc pas conduire au bonheur permanent. Au contraire, ils suscitent invariablement d'incessantes souffrances de toutes sortes.
Lorsque l'homme regorge de désirs terrestres, une abondante moisson de souffrances l'attend inéluctablement. Le désir engendre nécessairement la souffrance : telle est la loi.
DETACHEMENT TEMPORAIRE
Il arrive qu'une personne soit profondément touchée par une expérience exceptionnellement forte, comme le fait de voir un mort ou d'assister à un enterrement ou une incinération. De telles expériences donnent matière à réfléchir, et sont à l'origine de longs cheminements de pensée sur la futilité et la vanité de l'existence terrestre. Sous la pression de ces expériences, la personne réalise qu'un jour elle devra mourir et dire adieu à tous les objets terrestres qui lui sont si chers. Mais ces pensées, ainsi que le détachement qui s'ensuit, sont de courte durée. Elles sont vite oubliées, et la personne retrouve son attachement au monde et à ses séductions. Cette vague passagère de détachement, s'appelle smashaan vairagya, car elle naît généralement à la vue d'un enterrement ou d'une incinération et ne dure dans le mental qu'en présence de la mort. Cette inclination au détachement disparaît aussi vite qu'elle est survenue. Tant qu'elle dure, elle semble forte et effective mais, nourrie seulement de la vivacité d'une expérience, elle disparaît en même temps qu'elle, sans affecter en profondeur l'attitude générale de la personne envers la vie.
DETACHEMENT COMPLET
Le type de détachement réellement durable résulte de la compréhension de la souffrance ainsi que de sa cause. Il est solidement ancré sur la certitude inébranlable que toutes les choses de ce monde sont momentanées et changeantes, et que toute forme d'attachement envers elles ne peut être que source de souffrance. L'homme recherche les choses agréables de la vie, et essaye d'éviter celles qui amènent la souffrance, sans réaliser qu'il ne peut pas avoir les unes, et esquiver les autres. Tant qu'on est attaché aux plaisirs de ce monde, on ne peut que s'exposer sans cesse à la souffrance de ne pas les obtenir ou de les perdre une fois qu'ils ont été obtenus. Le détachement durable qui libère de tous les désirs et de tous les attachements s'appelle pourna vairagya, ou absence complète de passion. Le détachement complet est l'une des conditions essentielles du bonheur vrai et durable, car celui qui est complètement détaché, a cessé de s'autocréer la souffrance qui résulte de l'asservissement perpétuel à ses désirs.
LES OPPOSES
L’absence de désir rend l'individu solide comme le roc. Ni le plaisir, ni le chagrin ne l'émeuvent ; il demeure imperturbable sous les assauts des opposés. Celui qui est affecté par les choses agréables, est inévitablement affecté aussi par les choses désagréables. S'il trouve le courage d'entreprendre quelque chose lorsqu'un présage favorable l'y incite, il ne peut qu'être découragé en présence d'un présage défavorable. Il ne peut résister à l'action décourageante des mauvais augures tant qu'il puise sa force dans les bons augures. La seule façon de ne pas être influencé par les augures, est de leur être toujours indifférent, quels qu'ils soient.
SOUFFRANCE PHYSIQUE ET SOUFFRANCE MENTALE
L'homme est exposé à de nombreuses souffrances d'ordres physique et mental. De ces deux sortes, la souffrance mentale est la plus vive. Les hommes dont la vision est limitée pensent que la souffrance ne peut être que physique. Pour eux, la souffrance est une sorte de maladie ou de torture endurée par le corps. Or, la souffrance mentale est pire que la souffrance physique. La souffrance physique survient parfois comme une bénédiction, car elle sert à atténuer la souffrance mentale, en détournant l'attention de l'homme.
LE BONHEUR PERMANENT EST ATTEINT PAR LE NON-DESIR
Il n'est pas juste de faire grand cas de la souffrance purement physique. On peut arriver à la supporter par l'exercice de la volonté et de l'endurance. La souffrance qui compte vraiment est mentale. Même les yogis capables d'endurer de grandes souffrances physiques, trouvent difficile de se garder de la souffrance mentale qui est enracinée dans la frustration des désirs. L'homme qui ne veut rien n'est jamais malheureux en aucune circonstance, si adverse soit-elle, pas même dans la gueule du lion. L'état de complet non-désir est latent en chacun. Lorsque, par un détachement complet, on parvient à l'état où l'on ne veut rien, on a trouvé la source intérieure intarissable du bonheur éternel et impérissable, qui ne repose pas sur les objets du monde, mais s'appuie sur la connaissance de Soi, et la réalisation de Soi.
|